Edmond Jabès , Le Seuil Le Sable – Poésies complètes 1943-1988 Paris 1987 (Gallimard) p. 221-258
L’IDOLE
Tu veilles dans tes yeux
aux bambous de ténèbres
Une lampe pour les autres
ceux qui t’observent
Le sang essuie les vitres
de nos maisons en ruines
Petites ombres tu suis les morts
à la trace de nos pas
Fraîcheur des lignes des barbelés
On se fait signe avec les lames de la rose
Les amants affrontent leur visage
Leur voix peuple les ondes
de ce pays au tien
aux abîmes d’étoiles
Place
à l’eau qui dort dans l’eau au creux des mains
à l’air à ses chapeaux trop larges pour nos têtes
au sable à l’herbe jeune sœur de nos orteils
Place
aux brebis du vent halées dans les étables
aux vaches sourdes sur les paliers de grêle
au renard au chien bruyant des jours et des nuits
Place
au verbe ascendant vert des édifices
aux fenêtres à leurs rames épaisseur du temps
à la girouette montée sur roues de miaulements de chaton
Place
Aux sirènes du souffle à leurs agrafes de lis
aux chevelures dans les sapins de l’orgue
au pain rose des museaux de poisson
Place
á la tour penchée des passions de paille
á la rouille des attentes des grandes voiles
á la mer aux villes suspendues aux cloches de Noël
Place
à la solennelle enquête des marches
au cours fleuri
La parole est au soleil levé sur la salive
La parole est aux trente-deux candélabres des baisers
Minuit
aux semences de lune
Le jour est au fond de la terre
dans le brouillard des pierres
dans les rêves boueux des branches
Le jour est dans les narines du lièvre
Ses bonds sont des poupées qui se lèvent
Place aux poils rasés patrie du cerf
ton sexe que les navires traversent
par vagues crache le désir
L’aventure est une idole aux seins de sel
Les marins la confondent avec la soif
Folie idole
le poème comme ton sein
n’a ni commencement ni fin
Baigneuses rieuses
Vos bras serpents oisifs
Vous sentez l’amour
Nous quêtons dans vos chants
une place de nerfs et de feuilles
un nom pour nos collines
Les aiguilles du cri acclament leur fil
Aveugles elles naissent enfin à l’ouvrage
Fière idole
le poème est ta robe de chute de rosée
au corsage pâle de cigale
Baigneuses englouties
nous émergeons de votre ultime pacte
avec le feu
Le ciel est couronné de chapelles d’iris
aux palpitants autels d’ibis
Place
aux corneilles du son dans le gosier du chêne
à la craie sur les toits légendes pour enfants
au sommeil des ancres noires dans les dortoirs d’océan
Place
aux cerceaux des haltes à leurs sceaux de cire
au vieux part plein de rires en fruits
aux souveraines grilles sentinelles des heures
Place
aux momies des arches dans le sillage gris des ponts
à la poussière des fleuves la nuit sur les barques borgnes
aux pêcheurs penchés sur les racines mouvantes des mondes
Place
aux courroies des îles mille boucles de naufrages
aux soucoupes de l’aube les rayons pour chalumeaux
aux bulles d’incendie le long des lèvres humides
Place
au carrefour des fronts La pensée belle passante
à la rue aux fontaines appuyées à leur langue
au duvet d’ambre sur le visage étonné du matin
Place
au calepin de mousse sur le rocher altier
de nos servitudes
La parole est aux doigts d’écume dans les terriers bleus des récifs
La parole est à l’arc-en-ciel sur l’épaule nue de la montagne
Lac
moulin couché
A la pointe de l’aile
le bé broie le blé
Nous bâtissons sur les rives
une promesse de vivre
aux torches de chouette
La lumière crisse dans le cristal
palette aux pétales de précipice
Le buffle fend la colonne
Rouge idole
nous choisissons pour unité de mesure de nos liens
les plis irritants de ton haleine
Au col amidonné du phare
tu noues le fer et le plomb
cravate à pois d’hymnes
La douleur dénombre à chaque escale
ses vautours Leur livrée toute en perles
Sûr silence
L’horreur est pour le clou
Les murs admirent
Les morts mentent
Nous avons vu l’orage daller nos dômes d’affres
Le Dimanche sur les falaises
et les sanglots sertir leurs vitraux dans le vide
Nous avons vu les heures fourrage apprécié
répandre leur gesse de cendres sur l’été
les tigres graver leurs pattes dans la chaleur
Nous avons vu le poing prendre son souffle
et atteindre les nues écureuil vengeur
Nous avons vu le bois attenter à son arc
Le poème est l’épave aux sources des assauts
que les chemins se livrent
La nature règne éternelle
au cœur des citadelles
Le hibou porte en collier
la clé lourde des mages
Le poème est la laisse aux abords de l’antre
de l’idole aux lions
Place
au somnambule hardi les algèbres compromises
à la course des zèbres coupés de leur mémoire
à la flore affranchie des miroirs piétinés
Place
à l’incurable plaie du songe roux des forêts
Tu veilles dans tes yeux
aux fusains de ton áge
jeune fille inspirée
Le fort est ta fortune
que les siècles assiègent
drapée dans nos drapeaux
Nous ciselons pour la faim
un fermoir de flambeaux
aux fines franges de foudre
Le passé passe la main
Tu écartes en marchant
tes cils frêles barreaux
idole à l’écho
de gestes manqués
SAISONS
La terre a brulé ses dires
sous la neige des hivers
L’été transparente coquille d’œuf
L’été pour le vol mystérieux des vautours
Femme aux ailes de poudre
á la gorge plate de cyanure
L’été crinière de feux follets soutenue
par une nuque étourdissante
La joie de l’arbre ses aveux de feuilles changeantes
Le monstre à ses pieds l’énigme
Été clé légère sur le ventre du Lord Maire
Clé des villes ensevelies des villes à venir
Une seule clé pour tant de portes
Le temps a brulé ses villes
ses villages ses arbres grisonnants
L’automne fait pleurer les arbrisseaux
et le fantôme de leurs parents
Le temps a brulé ses doigts
au contact orageux de la mort
Toutes les fenêtres sont vacantes
La poule picore en dormant
Le rêve rompt la monotonie des routes
Le ciel a noyé l’album de ses vingt ans
La peur rougit l’âme dans les crevasses
Les balafres sont des rides La douleur est vengée
Le courage manque aux lèvres de remuer
Le temps élégant a mis
ses guêtres et ses gants
pour se confier aux muets
à l’aveugle
La pierre offre à ses amours
son unique portrait à tous les âges
la pieuvre son expérience heureuse du naufrage
Combien de poissons bonne
pêche
frétillent dans les sous
La mer découverte par les mots apparus
L’infini parle Les paroles hâlent
L’homme aux éternels ciseaux dans le jour
découpe une ombre à sa mesure
le double le doux géant aux yeux de poussière
au pouce de lierre à la couche impatiente
Demain est une province sans couvercle
sans verdure sans parfum
un puits que son eau trahit
Les pas de soif sont creusés d’espérance
J’ai marché avec le bruit involontaire
que fait le silence dans l’herbe dans l’air
J’ai marché avec le vent et le vertige ancien
des voûtes Suprême halte
du voyageur Le sang est dans les fleurs
Les vampires hantent les jardins
Demain est un désert sans élu
L’adieu couve ses raisins
Le vin multiplie ses ailettes
en vain Demain aiguille le regard
de chaque borne
L’hiver a brulé son marc
à la première auberge
Le printemps accorde ses couleurs
à la rampe que le cuivre lui dispute
Tu as perdu ta demeure
en fuyant les heures
Demain est une plage entrevue
que chaque palier dégage
une chevelure désespérée
dans le vide oisif du songe
Demain pour toi que j’attends
dans les vagues hautes du souvenir
dans le dédaigneux suicide
des mamelles
Le lait se vautre dans l’océan
comme l’hermine dans sa fourrure
Étoiles
bouquets d’orgueil
dans tes mains
Tu es folie jeunesse du feu
abime angoissé pour la ceinture
Les tiges ont déchiré leur voile verte solitude
La couronne manque à la tête penchée du sauveur
LE PRIX DU SILENCE
Le cri fait gicler la voix
comme la pierre Peau
puis se noie
Le cri est un couteau
pointu privé de manche
Les mains le poursuivent comme
Tonde l’illusion du rivage
et plongent
On tue au fond de Peau
Le sang beau lac anonyme est le prix
du silence
LA MÉTAMORPHOSE DU MONDE
L’insistance qu’ont les flammes à mettre les points
sur les i
Le départ est fixé au lendemain de la course
On applaudit les nains qui du doigt atteignent
le nombril des saisons
Les oiseaux participent à la métamorphose du monde
S’envoler pour permettre l’étoile de voler enfin
La tête en bas les pieds n’ont plus leur raison d’être
sinon de crever les nuages
Le feu a pris dans les maisons L’homme pour lui
ne réclamait pas tant de chaleur
mais
LA MINUTE DÉPOSSÉDÉE
L’appauvrissement de la minute coupée
de son orgueilleuse filiation
coupée de ses ancêtres blancs et noirs
aux cicatrices révélées
L’or a le don d’imitation a la dent
Des mauvais jours
Tu sauras au seuil de ta porte
Le moment qu’il nous reste vivre
L’ ÉTRANGER
La coquetterie des choses
à paraitre ce qu’elles sont
Le monde est une coterie
L’étranger y a du mal se faire entendre
On lui reproche gestes et langue
Et pour sa patiente courtoisie
récolte injures et menaces
SUR LE SOCLE DES MERS
Pour Philippe Rebeyrol
Sur le socle des mers
le bruit apaise le sang
femme nue aux gestes accordés
l’onde femme nue aux gestes
couronnés d’écume
Furieuses sont les maîtresses des îles
aux pins de granit douces pourtant
avec les feuilles et les fruits
Océan ou finissent nos hésitations et nos blessures
Une fois a marqué ma vie pour toujours
Au camp des esclaves les grelots bavent
comme des nouveau-nés Il faut la patience
des murs pour retenir les forçats la confiance
du plomb et du fer Il faut aussi la mort
au collier de ruisseau perdu
Sur le socle des mers
le soleil est un vautour que les vents enivrent
Jamais plus
les larmes fleuriront sur Peau des champs
Jamais plus la révolte ne hantera les sentiers vendus
La route est tracée vous dis-je
et les pas des poètes sont surs
Le souci de vivre est une fleur pressentie
sa forme le parfum sont lieux précis d’exil
Le rêve est assis entre ses deux bourreaux
et ce sont eux qui pâlissent
LE MASQUE DE LA MORT
Le masque de la mort
retrouve ses origines
pierre creuse où l’on voyage
Le droit a rompu les puissantes digues
de l’insolence Les chemins
se croisent au cœur exorbité des eaux
Le droit est une règle de trois
Aussi simple que la magie des lampes
le soir dans la chambre des conspirations
Tu dormiras longtemps avant d’aborder au jour
J’isolerai tes rêves comme la mer ses îles
Tu dormiras avec la mappemonde aux allées filtrées
d’échanges Mais tes yeux n’auront qu’un
regard
Le masque de la mort
retrouve ses traits
empruntés à la légende
Le peintre s’agenouille
devant une ombre aux flèches léchées
dont il fait des pinceaux pour mourir
Tu dormiras avec l’oubli
fontaine des nuits d’homme
sur les places illuminées
Tu dormiras les rames tombées
la barque livrée à elle-même
LES CLÉS DE LA VILLE
I
Première voix
Prince du grave oubli du dernier jugement du sang
dans le nuage des mains trop pleines
dans le couloir des vices entrecoupés de plaintes males
dans le sillage des cris que découpe parfois l’azur
Deuxième voix
Maitre du sommeil des mers pour la féconde sieste des oursins de l’aube
au cœur de l’homme invisible dont le rayonnement est imprévisible
au centre hurlant du monde à refaire et à défaire sans cesse
Première voix
Prince du jour déchu Une fois la porte a forcé ton mystère
papillon brulant ses ailes au rythme du tambour fatal
paon aux images innocentes de conteur pour petites filles traquées
aux pattes de myriades d’insectes enfoncées dans l’amour
impossible de soi-même
Deuxième voix
Prince des fonds de force ennemi du sage urbaniste
La berge à la nuque de limon ou s’esclaffent les crocodiles
affame le chacal de minuit que ta douleur étonnée étoile
Tu règnes sur chaque voute sur chaque chemin de soif
Prince des cibles de l’air des affres des clochers d’orgueil
Première voix
Maître de l’éternel adieu des fleuves et des miroirs enroués
l’instant est venu de saluer ta raison vierge dont la danse
emplit ton palais d’oiseaux
Dans le mal pourpré des cimes et dans l’or convulsé des
carrières
mille couples devenus cierges promis au silence défient pour
ta gloire les siècles
Première et deuxième voix
Tiendras-tu désormais tête à l’avenir
II
Troisième voix
Oisif volontaire
ton bagage inutile
Quatrième voix
La fièvre nous dénombre
Les cris chaussent la chaussée
Troisième voix
Au coucher de l’éclair
ton arc cheval blanc
est la preuve par neuf
Quatrième voix
Rencontres imprévisibles
La pieuvre des signes
est la preuve par neuf
Troisième voix
Affiches surnaturelles
aux rires de banlieue
au sommeil de comptoir
Quatrième voix
Ton espace est compté
mère aux sein d’épingles
le soleil dans le lait
Troisième voix
L’éponge du suicide
fresques insoupçonnées
à perse de consonnes
sous le talon du dé
à perte de mémoire
anémones blasées
Quatrième voix
Ville à la queue d’aigrettes
aux nageoires de soufre
Sous l’eau l’allumette
guide ses dépaysements
d’un noyé à l’autre
rives émancipées
de la première à la dernière
lettre docile de l’année
Troisième voix
Ville penchée sur ses paroles
Les ruelles cordes vocales
Le silence le bouc émissaire
III
Première voix
Bonjour aux prospectus de faim
mie de pain enlevée aux réverbères
Deuxième voix
Bonjour aux raisins d’insomnie
Ombre et lumière se disputent la vigne
Première voix
Bonjour aux aigles des féeries
Les jeux sont faits dans les cœurs naïfs
Deuxième voix
Bonjour aux raquettes aux comètes
Les quartiers échangent leurs primeurs
Première voix
Bonjour aux stations des lécheurs d’algues
Les trottoirs sont des plages dépossédées
Deuxième voix
Bonjour aux écrevisses violettes du doute
Les tourments venimeux vivent dans la mer
IV
Troisième voix
J’ai vu
les sorcières nouer leurs tresses aux crochets des voûtes
et se balancer grotesques lampions
Quatrième voix
J’ ai vu
les chiffonniers couvrir l’air de pamphlets jaunes
que les oiseaux rédigeaient avec leur bec
Troisième voix
J’ai vu
l’aube dans une ultime étreinte des branches
les catins coudre leurs plaies à celles résineuses des arbres
Quatrième voix
J’ai vu
l’écolier bruler ses livres et rejoindre la ville
l’espace consenti entre deux geôles d’écho
V
Cinquième voix
Ton nom, je le prononçais pour chaque étang de la ville et les colonnes qui te poursuivaient – car tu fais partie de l’univers des statues – ces énormes troncs familiers ou j’ai cru lire, comme une douleur, la navrante impossibilité de vieillir le long de leur course, donnaient à ton visage l’attrait de la folie. Bien-aimée, ce n’était que l’amour qu’émerveillé, je m’apprêtais à boire dans tes paumes, à la source de nos destinées.
Je te regardais comme si tu tissais sur toi la robe de lin d’exode que j’allais déchirer, sit6t terminée. Tu le compris et pour faciliter à mes mains leur tache, tu t’appliquas à les enivrer.
De quels fils fut tissé ce vêtement? Le désir des hommes, le rire du démon, la chevelure changeante du jour, tu ne négligeas aucune arme pour en faire la plus redoutable des parures.
Sixième voix
Tes cheveux ont gardé le gout secret du sang.
Huitième voix
La nuit a ses perles pour les yeux des eaux que la chouette imprime au cœur des bassins de plumes ou tu planes perpétuellement ouverte au chant de la mort, ton double d’outre sang, d’outre sens apparu au matin de gel que perfore le soufre des pelouses à l’infini; et ce sont d’implacables coups de couteau de hasard qu’une flore furieuse assène à l’air assène au clair gilet d’air qu’arbore l’ombre le long du barrage des cent et une cornes de lumière que reflète dans l’extase chaque dalle limoneuse de présage ou, comme sur un tapis de voix chères entremêlées que fourmis et essaims de mouches décolorent, à rançon de blé de pelle et d’orge bleue des mers, tu nais de tes entrailles pour de nostalgiques naufrages et d’exaltantes explorations depuis l’appel du jasmin des cloches pieuses qu’exhale le corsage d’opulentes dévotes mais qu’une scie d’ondes à dents de miel dévore sans pitié, jusqu’au bol d’essence d’ellébore que la rose aspire et ou puise pour guérir, une vierge folie foulée par le vent jaloux de la plaine, par de fougueux chevaux de proie que d’anonymes cavaliers masqués dirigent au crépuscule sur la ville, à la faveur des rapts de rats de cuir opérant alentour dans les sentiers de loupe et de loutre, alors que l’éclair, lance électrocutée, transperce le globule d’ardoise que l’homme a choisi pour toit, dans sa hâte d’abriter les mille miettes d’heures encore à vivre, mystiquement roulées aux confins du rêve, enjeu d’une vigoureuse réplique de pain d’affiche des quatre Reines glorieuses du monde, unanimement prises dans l’éponge mentale de leur volonté d’asservir, en la pompant, l’huitre jaune des paradis artificiels, à leur propre piège d’hirondelle vénéneuse.
Sixième voix
J’ai des fantômes pour amis
l’univers pour alibi
J’ai pour sosie une pythie
VI
Première voix
A chaque halte une île
au milieu des rameurs
Deuxième voix
Ce soir viendras-tu seule
ton écharpe autour du cou
tes gants de peau d’océan
tes souliers bleus de sommeil
Première voix
Pluie parure des plantes
rêve de robe gigantesque
Les arbres s’en méfient
Les papillons sont des broches
pour décolletés du ciel
Lézard épingle assortie
au déshabillé des pierres
Deuxième voix
Ce soir viendras-tu seule
avec tes dents de glace
Le sel de ta légende
Première voix et Deuxième voix
Nous errons enlacés
étrangers à nos yeux
ans but et sans bruit
la mémoire pour iris
L’écho
Phrases inachevées
au chevet de l’aveu
VII
Troisième voix
La santé des murs
Partout pareille
Quatrième voix
La musique des pièges
violon pour vermisseaux
Première voix
Il frôle les sources
l’ordre rétabli
Ii fr6ole les bras nus
femmes apprivoisées
Quatrième voix
Les morts ont leur laisse
au cou aux chevilles
Les morts ont leurs promesses
qu’ils nous forcent à tenir
Première voix
On prie pour les tortues
dans les fumeries d’opium
On prie pour les vautours
dans le hangar des griffes
Troisième voix
Les morts ont leur richesse
écus économisés
Le sable l’ouïe
Deuxième voix
La neige le goût
Première voix
La mer la vue
Quatrième voix
L’air l’odorat
Troisième voix
L’ombre le toucher
Deuxième voix
Dormir avec les mares
avec le mors les amarres
Dormir sur le dos des nuits
Lune croupe de jument
Première voix
Lune moignon errant
L’écho
Les mains multipliées
roses poignées de porte
VIII
Septième voix
Tête tranchée du serpent
le testament du pendu
Huitième mix
Été noyau d’olive
chapelet convoité
Troisième mix
Crépuscule amphithéâtre
de moustiques géants
Les acteurs sont les victimes
Septième mix
On n’a pas idée d’égorger une colombe si vite
Quatrième voix
Étang attente
creuse de la chouette
Septième voix
On n’a pas idée de pendre une étoile si petite
Huitième voix
A pas de loup
à pas dévorants
l’homme
efface
l’homme
efface
l’eau
l’air
Septième voix
Au bout de l’échelle bleuit le poisson
Quatrième voix
A chaque mets à chaque heure son héron
Troisième voix
Régnez racines calmées
fleurs un soir fumées
coraux des feux grégeois
accouplés à l’onde émue
Quatrième voix
Avril des lèvres sevrées
écailles de coupe éblouie
Un hymne au palais
Troisième voix
Ruse du bas de cendres
belle jambe enveloppée
de l’orée joyeuse
du compas de soie
de mon cou démesuré
au milieu de la ville
de la cour résignée
Septième voix
Phare ancien l’obélisque
coule éteint dans le port
Huitième voix
Fière marguerite
carrefour des sens
capitale effeuillée
un os dans ton jardin
un mot pour un autre
départs retours
Au centre le gouffre
rappel veuf du vide
IX
Première voix
Être la tempe de la couleur en être la peau
Deuxième voix
Être le four de la main en être le pain
Troisième voix
Être l’essor du cerne en être l’oripeau
Quatrième voix
Être la cage du pinceau en être le pinson
Cinquième voix
Être l’alphabet des cigognes en être le songe
Toutes les voix
Tiendrons-nous désormais tête à l’avenir
LE COLLOQUE DES RAMES
Colloque des rames
à la conquête de l’eau Le
secret est dans le bois la parole
dans le désir d’allaiter de ronde
Penche-toi sur la mer lèvres entrouvertes
Penche-toi sur l’infini du sable efféminé
que le rêve inonde pour les coquillages
énigmatiques colts sans songer que la mort
un jour les rendra au soleil
L’ÉCRAN PULVÉRISÉ
J’ai vu les morts mourir une seconde fois
couchés sur la mer
J’ai vu les morts inventer les ponts
Si tu passais
je te suivrais Toujours il y a
entre deux feux entre deux bûchers
un empire d’orage ou de dalles
une ivresse de venin à boire dans la fiole
des poissons des hirondelles Si tu
passais je serais le dessein de tes pas
l’entêtement mystérieux du fil et je mettrais
le temps qu’il faudrait pour fixer ton visage
Les jours se comptent sur le bout des voix
tues Puis tout est noir J’ai vu les morts
respirer avec nos poumons et la mer dessous
perpétuer leur souffle tandis que tu échafaudais
pour chaque antenne un écran pulvérisé
de patience
APRÈS LE DÉLUGE
La paix est dans la clé
des contradictions dans le soufre
des clartés fugitives Tu es là
pour un instant Désert bleu
aux dunes de pluie La soif est exaucée
L’espace est une brèche Tu brûles dans la nuit
sans murailles Je vois par ton huile
par la mèche de feu qui fleurit au milieu
Je vois par ton amour La paix jeune pie
a l’allégresse multicolore de nos yeux
après le déluge